Tendue comme un arc par l’anxiété et tout un panel d’angoisses qui l’étreignait, Camille repensa aux gestes de son époux. Son regard fuyant, plein de culpabilité et de honte quand ses paupières n’étaient pas fermées. Son sourire, pleine d’une nervosité qu’un criminel au grand coeur pris la main dans le sac pour la première fois de sa vie. Sa façon d’appeler son prénom n’en était qu’une extension. Tout dans ses gestes suintaient la nervosité mais tout dans ses gestes irradiaient l’amour qu’il lui portait. Ça ne l’inquiétait que davantage : elle ne comprenait pas comment ces deux faits pouvaient coexister dans un seul corps, comme un robot humain, joyeux, mis devant le fait qu’il était avant tout un robot. Sa comparaison la fit grimacer, entre le rire et ‘pourquoi mes pensées sont aussi futiles et hasardeuses’. Elle respira profondément et intérieurement, tentant de se calmer. Si sa cocotte minute interne avait de quoi tenir un peu plus longtemps, le volcan de son anxiété, lui, ne s’apaisait – même momentanément – pas aussi aisément. Camille embrassa alors le dos de la main de Caliel, et la caresse qu’il lui offrit en réponse diminua les sous-teintes inquiètes qu’elle lui envoyait. Un peu. Son regard, qui se paraît d’une admiration dont elle s’amusait d’habitude, et qui la rassurait d’habitude, ne fit qu’attendrir le tumulte de ses angoisses. Et si je n’étais juste... pas assez bien ? Que je ne fais pas assez d’effort pour lui ? ; Oublies ça. Je suis parfaite, et si tu n’es pas à mon niveau t’en es quand même pas loin. ; C’est censé me rassurer ? ; Vous le seriez tous les deux si tu m’écoutais. Il a faim, j’te dis. Un sourire ironique étira ses lèvres en réponse, alors que son amour dégageait quelques mèches de cheveux.
« Ce n'est pas toi. »
Tout sourire disparut, Camille posa le dos de la main de son âme jumelle sur son front, paupières closes. Pour l’encourager plus que ses yeux, pour le supplier de lui parler enfin. Il se contentait de cette explication depuis des années, et peut-être que cette explication aurait suffi si elle en avait compris les rouages dès le départ : ce n’était pas le cas.
« Jaloux comme dans... je n'ai pas confiance en lui. Camille redressa sa tête et ouvrit ses yeux en grand. Agrandis par la surprise, comme les oreilles félines dressées sur sa tête. Quoi ? Comment ça, en lui ? Qu’est-ce qu’il fout dans notre conversation, l’autre truc ? Elle serra ses lèvres pour ne pas l’interrompre, l’écouta sans ciller. Je ne veux pas que tu arrêtes à cause de moi, Camille. Elle embrassa à nouveau le dos de sa main et sourit contre sa peau. Continue à faire ce que tu aimes, laisse-moi juste le temps de m'y faire et... supporte-moi juste un peu le temps que ça vienne, s'il te plaît.
- Je t’aime. »
La réponse avait fusé, comme une évidence, d’une voix aimante, tendre, toute d’une douceur qu’elle ne réservait qu’à lui – chose qu’il ne devait être que le seul à savoir vu qu’elle ne l’avait toujours pas remarqué elle-même. Elle pensa un instant que la réponse n’était pas approprié, se rassura en moins d’une demi-seconde ; d’une, tous les moments étaient bons pour qu’elle le lui dise, de deux, c’était une réponse parfaite, de trois, c’était la seule réponse qu’elle trouvait bonne et juste même après réflexion. Elle ne s’était pas trompée.
« Tout va bien alors ne t'attardes pas trop sur le problème et... ton café frappé ne va pas se faire tout seul alors il faudrait que je m'y remette. Camille sourit et une lueur joueuse, taquine, dansa sur ses lèvres. Son regard, lui, brûlait d’une détermination facile à reconnaître chez elle : celle qui disait qu’elle n’abandonnerait pas. Et qu’elle voulait aider, aussi.
- Est-ce que tu me demandes vraiment... de ne pas m’attarder sur quelque chose qui te consume depuis des années et que je ne comprends, d’une certaine façon, qu’aujourd’hui ? Son sourire s’effaça au profit d’un autre, plus léger. Tu sais, concernant l’autre truc là, j’ai cru longtemps que c’était la réaction des fans sur le possible-couple voire le couple-caché, ou sur d’autres qui matraquent qu’il n’y a rien vu que nous sommes ensemble, qui te dérangeait. Quoique... est-ce que ça, ça te dérange aussi ? Ou c’est moindre comparé au reste ? »
Elle le regardait ajouter la touche finale au café frappé, sous le ronronnement approbateur (et intrusif pour Camille) de sa tigresses intérieure. Elle s’affala enfin sur le canapé, ralluma son portable pour vérifier de qui venait l’appel et lança le regard du ‘sérieusement ?’ à son écran. Le producteur. Le producteur, à qui elle avait parlé avant de partir, l’avait appelée. Humpf. Bien fait. Elle attendit que Caliel s’assît à ses côtés pour s’installer sur lui, son visage contre son épaule, et lui embrassa la gorge.
« Excuses-moi. Tu viens de... d’exprimer le fait que tu ne veux pas en parler mais... mon impression que si on n’en parle pas maintenant, on en parlera jamais, m’a bouffée. Ça plus le fait d’avoir l’impression d’enfin te comprendre et de chercher à en savoir plus. Toujours plus. Elle ferma ses paupières et prit son verre. Merci pour la boisson, t’es le meilleur. »
Elle but une gorgée après l’avoir embrassé, se blottit contre lui et se détendit petit à petit, paupières toujours closes. Ses oreilles animales avaient disparu au profit d’un visage calme, serein. Elle n’ouvrit les yeux que pour poser son verre, lui sourire puis se blottir dans ses bras de plus belle. Et le serrer dans les siens, bien sûr. Je t’aime.